Yachting et pavillons offshore : le gouffre social des marins



Le secteur maritime est internationalisé, caractérisé par une liberté d’immatriculation du navire, donc une mise en concurrence des législations sociale avec des risques de dumping social notamment dans le milieu du yachting et pour conséquences une faible voire absence de protection pour les marins salariés. Un arrêt de la Cour de cassation de juillet 2020 souligne la limite des assurances privées notamment dans la prise en charge des accidents du travail à bord des navires

A l’inverse de la coordination sociale au titre de la mobilité au sein de l’Union Européenne, les marins qui embarquent sur des navires battant pavillon d’Etat tiers en dehors de l’espace européen bénéficient généralement de règles moins protectrices en tant qu’ils sont assujettis par principe à l’Etat du pavillon dont bat le navire, Etats qui pour la plupart ne garantissent que peu de droits sociaux afin pour conséquence des conflits de droit du travail et de sécurité sociale

La plupart des armateurs du yachting immatriculent leurs navires auprès d’Etats appartenant au Red Ensign qui regroupent d’anciens pays du Commonwealth (Iles Vierges Britanniques, îles les Marshall, îles Cayman, îles Grenadines, Bahamas, Jersey, Guernesey ou encore île de Man…) avec un système libéral qui ne garantir aucune protection sociale pour les marins salariés.

A l’inverse du Red Ensign, le pavillon maltais régulièrement arboré dans le yachting répond de la réglementation européenne dont la législation sociale s’impose et ne peut être remplacée par une assurance privée

L’Etat français a en ce sens impulsé une législation unique visant à assurer une sécurité sociale pour les marins professionnels embarqués sur des navires dont l’Etat du pavillon n’a conclu avec la France aucune conventions et qui résident habituellement en France.

Si la souplesse fiscale et la complaisance sociale de ces pavillons offshore sont avantageux pour les armateurs et propriétaires, à l’inverse les marins se retrouvent fortement lésés, ceci d’autant plus en cas d’accident professionnel ou de maladie professionnelle.

La loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 désormais codifiée à l’article L 5551-1 2° du code des transports a mise en place un dispositif visant à obliger les employeurs, notamment du yachting, à garantir une protection sociale aux marins salariés en application du droit français, et par conséquence à leur famille, qui résident habituellement en France.

L’objectif est de permettre aux gens de mer ayant leur résidence habituelle en France et embarqués sur des pavillon étranger, de bénéficier d’une protection sociale équivalente à celle dont jouissent les travailleurs terrestres

L’entrée en vigueur de la disposition fut houleuse suite à l’opposition d’un groupement de professionnels du yachting qui invoquaient un impact négatif sur la filière notamment que les employeurs déportent leur contrat d’engagement maritime au bénéfice de marins étrangers, ceci par la crainte d’une réglementation sociale contraignante et des risques de contentieux.

Aujourd’hui force est d’admettre que nombre d’armateurs du yachting, par manque de contrôles, échappent intentionnellement ou non à cette législation obligatoire, soit par méconnaissance, incompréhension ou crainte de contentieux menés par les marins en recherche de justice sociale.

Pourtant, cette disposition a le mérite de garantir aux marins salariés, ainsi qu’à leur famille, qui résident habituellement sur le territoire français ou sur un navire en escale dans un port français, une protection sociale complète qui couvre tous les risques :

  • Maladie
  • Maternité
  • Invalidité
  • Accidents du travail et maladies professionnelles
  • Vieillesse
  • Décès
  • Action sociale

Au surplus, un décryptage met en évidence que les principaux contrats d’assurance privés souscrits dans le yachting ne proposent qu’une faible protection sociale pour les marins voire aucune indemnisation en cas de faute inexcusable de l’employeur suite à un accident de travail.

Un arrêt de la Cour de cassation de juillet 2020 a jugé que le fait de souscrire auprès d’une assurance privée qui déroge au principe de l’application territoriale de la législation française de sécurité sociale, exclu le salarié, victime d’un accident de travail, du bénéfice de l’indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur

Enfin, une simulation du montant des charges sociales montre un coût pour l’employeur relativement identique entre le taux des cotisations auprès du régime de sécurité sociale français et celui appliqué par les assurances privées dont les contrats tentent pour partie de s’aligner sur les standards de la protection sociale française.

Le montant de la cotisation (retraite et santé) pour un employeur qui emploie un Capitaine, un Chef mécanicien et un cuisinier sur un yacht de 30 mètres en navigation côtière s’élève à environ 2200 euros auprès du régime français

Le montant de la cotisation (retraite et santé) pour un employeur qui emploie un Capitaine, un Chef mécanicien, un cuisinier, un marin et deux stewardess sur un yacht de 60 mètres en navigation côtière s’élève à environ 2500 euros auprès du régime français

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