Acquisition des congé payés pour les marins en cas de maladie ou accident non professionnels
En matière de droit à acquisition de congés, les dispositions du Code du travail étaient en contradiction avec les règles de l’Union européenne et notamment de la Charte des droits fondamentaux qui prévoit un droit à l’acquisition de congés payés au titre des périodes de suspension du contrat de travail pour maladie ou accident. Suite à des décisions rendues par la Cour de cassation, la loi du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne est venue mettre en conformité le code du travail en matière d’acquisition de congés payés pour maladie non professionnelle, faisant naître de nouvelles obligations pour les entreprises et de nouveaux droits pour les salariés.
En application du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, L’Union Européenne reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.
Cette Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne énonce en son article 31 que :
Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.
Décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 13 septembre 2023
La Cour de Justice de l’Union Européenne a condamné à plusieurs reprises la France en raison de la non-conformité de sa législation relative aux congés payés vis-à-vis du droit européen sans pour autant une mise en conformité de l’Etat français.
La Haute Juridiction de l’ordre judiciaire français, s’emparant de la jurisprudence européenne et endossant son rôle de juge d’application du droit de l’Union Européenne a pu écarter, notamment lors des arrêt du 13 avril 2023 puis du 13 septembre 2023, des dispositions françaises contraires aux directives européennes afin d’impulser une mise en conformité du droit français avec le droit européen en jugeant que :
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, C-350/06, Schultz-Hoff ; CJUE 24 janvier 2012, C-282/10, Dominguez).
Dans l’arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation met en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congé payé et garantit ainsi une meilleure effectivité des droits des salariés à leur congé payé :
- les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle ;
- en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ;
- la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile
Autrement dit, la Chambre sociale juge que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) ont le droit de réclamer des droits à congé payé en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler.
Les juges considèrent ainsi qu’un salarié en arrêt maladie (professionnelle ou non) acquièrent les mêmes droits aux congés qu’un salarié travaillant dans l’entreprise et qu’une solution contraire aurait entraîné une discrimination au regard de l’état de santé. En revanche, cette décision s’applique uniquement en matière de congés payés et non aux jours de repos et jours de réduction du temps de travail.
Avis du Conseil d’Etat du 11 mars 2024
Par suite, le Conseil d’Etat a été saisi par le Premier ministre de la demande d’avis portant sur la mise en conformité des dispositions du code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie et a rendu un avis le 11 mars 2024 par lequel la Haute Juridiction de l’ordre administratif rappelle que les normes européennes et internationales garantissent un droit à congé annuel payé de quatre semaines et que selon la Cour de justice de l’Union européenne l’article 7 de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail ne fait pas obstacle « à une disposition nationale prévoyant, selon l’origine de l’absence du travailleur en congé de maladie, une durée de congé payé annuel supérieure ou égale à la période minimale de quatre semaines garantie par cette directive ».
Le Conseil d’Etat estime que le législateur n’est pas tenu, pour assurer la conformité de la loi française à la Constitution et au droit de l’Union européenne, de conférer aux périodes d’absence pour maladie non imputable à l’activité professionnelle le même effet d’acquisition de droits à congés que les périodes de travail effectif ou les périodes de suspension du contrat de travail liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Seule s’impose à lui l’obligation de garantir que les dispositions relatives aux absences en raison d’une maladie non-professionnelle n’ont pas, faute de permettre l’acquisition de droits à congés, pour conséquence de priver un salarié d’au moins quatre semaines de congés annuels.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat rappelle que les actions en paiement d’indemnités compensatrices de congés payés se prescrivent par trois ans et a observé que la Cour de justice de l’Union européenne admet au titre de dispositions transitoires d’adaptation au droit de l’Union des délais de prescription ou de forclusion à compter de l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives.
Par cet avis, le Conseil d’Etat a posé les bases du changement législatif et, en ce sens, le gouvernement a déposé un amendement qui assure la mise en conformité du droit du travail français avec le droit de l’Union européenne, en prévoyant que les salariés dont le contrat est suspendu par un arrêt de travail continuent d’acquérir des droits à congés quelle que soit la cause de cet arrêt (professionnelle ou non professionnelle)
Modification du droit applicable par la loi du 22 avril 2024
Le droit antérieur
Antérieurement à l’arrêt de la Cour de cassation et aux conséquences prises par le législateur par la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, le Code du travail prévoyait que chaque salarié avait droit à 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois de travail effectif chez le même employeur. Par conséquent, les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie ne donnaient en principe pas droit à l’acquisition de congés car elles n’étaient pas considérées comme du temps de travail effectif.
Arrêt de la Cour de cassation | Anciennes dispositions du code du travail jugées non conformes | |
Arrêt maladie pour raisons non professionnelles | Le salarié peut cumuler des congés payés | L’acquisition des congés payés est subordonnée à la réalisation d’un travail effectif (Ancien L 3141-3 du code du travail) |
Accident du travail ou maladie professionnelle | Le salarié peut cumuler des congés payés sur toute la période de l’arrêt | Les périodes de suspension pour accident du travail ou maladie professionnelle sont assimilées à du temps de travail effectif et donnent droit au cumul de congés payés dans la limite d’une durée de un an (Ancien L 3141-5 du code du travail) |
Le droit en vigueur
L’article 37 de la loi du 22 avril 2004 modifie le code du travail pour prévoir que les salariés en arrêt de travail pour un accident ou une maladie d’origine non professionnelle continuent d’acquérir des droits à congés payés.
Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé (…) Les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel (Article L 3441-5 du code du travail)
Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ou de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d’acquisition des droits à congés, ces nouvelles dispositions sont applicables rétroactivement au 1er décembre 2009. Le délai dont disposera le salarié pour faire valoir en justice ses droits dépendra de sa présence ou non dans l’entreprise au 24 avril 2024 à savoir :
- Pour les salariés présents dans leur entreprise au 24 avril 2024 (date d’entrée en vigueur de la loi), ils disposent d’un délai de 2 ans à compter de cette date pour réclamer les congés acquis depuis 2009
- Pour les salariés dont le contrat de travail a pris fin avant le 24 avril 2024, ils pourront réclamer les congés acquis au regard de la nouvelle disposition avec une rétroactivité de 3 ans à compter de la date d’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris, à condition que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, ceci conformément à l’article L 3245-1 du code du travail applicable aux créances salariales.
- Pour les salariés ayant quitté leur employeur depuis plus de 3 ans au 24 avril 2024, il y aura prescription et ils ne pourront se prévaloir de cette disposition
Toutefois, les congés supplémentaires acquis en application de ces nouvelles dispositions ne peuvent, pour chaque période de référence mentionnée à l’article L. 3141-10 du code du travail, excéder le nombre de jours permettant au salarié de bénéficier de vingt-quatre jours ouvrables de congé, après prise en compte des jours déjà acquis.
Les salariés disposent d’un délai de 15 mois, sauf accord d’entreprise ou de branche plus favorable, pour poser ces congés après information de leur employeur et, en cohérence avec la jurisprudence de la CJUE, ce délai de report court à compter de l’information que le salarié reçoit de son employeur, postérieurement à sa reprise d’activité, sur ses droits à congés.
Application aux marins professionnels
En application de l’article L 5541-1 du code des transports : le code du travail est applicable aux marins salariés des entreprises d’armement maritime et des entreprises de cultures marines ainsi qu’à leurs employeurs, sous réserve des dérogations ou des dispositions particulières ainsi que des mesures d’adaptation prises par voie réglementaire dans les conditions prévues par le présent titre.
En l’absence de dispositions particulières, l’article L 3441-5 du code du travail se trouve applicable aux marins professionnels. Il est rappelé que le droit à congés payés du marin est calculé à raison de trois jours calendaires par mois et que le temps passé dans l’attente du rapatriement et la durée du voyage ne peuvent pas être déduits des congés payés acquis par le marin (Article L 5544-23 du code des transports)
Tableau de synthèse des nouvelles dispositions
Acquisition de droits à congés payés pour un accident ou une maladie d’origine non professionnelle | Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel (article L 3441-5 du code du travail) |
Application aux marins professionnels | Le code du travail est applicable aux marins salariés des entreprises d’armement maritime et des entreprises de cultures marines ainsi qu’à leurs employeurs, sous réserve des dérogations ou des dispositions particulières ainsi que des mesures d’adaptation prises par voie réglementaire dans les conditions prévues par le présent titre (article L 5541-1 du code des transports) |
Rétroactivité de la mesure | Nouvelles dispositions applicables rétroactivement au 1er décembre 2009, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ou de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d’acquisition des droits à congés |
Délai pour agir | – Pour les salariés présents dans leur entreprise au 24 avril 2024, ils disposent d’un délai de 2 ans à compter de cette date pour réclamer les congés acquis depuis 2009 – Pour les salariés dont le contrat de travail a pris fin avant le 24 avril 2024, ils pourront réclamer les congés acquis avec une rétroactivité de 3 ans à compter de la date d’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris, à condition que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé – Pour les salariés ayant quitté leur employeur depuis plus de 3 ans au 24 avril 2024, il y aura prescription et ils ne pourront se prévaloir de cette disposition |
Congés payés concernés | Ensemble des congés légaux à l’exception des jours de repos et des jours de réduction du temps de travail |