Interdiction générale et absolue d’accès aux plages : de la restriction à la privation de liberté



Dans la lignée du déconfinement, l’autorisation d’ouverture de plages dynamiques est justifiée sur un plan juridique, économique et sociétal dès lors qu’elle donne accès à l’exercice d’une pratique sportive de plein air, solitaire et assurant une distance suffisante entre les pratiquants, garantie du respect des protocoles sanitaires et des gestes barrière. Le maintien d’une interdiction générale et absolue d’accès aux plages constitue une atteinte non proportionnée au principe de liberté.

Le projet de loi qui proroge jusqu’au 23 juillet 2020 inclus, l’état d’urgence a adapté la réglementation des déplacements, des transports et de l’ouverture des établissements recevant du public et des lieux de regroupement de personnes, en vue du déconfinement.

A l’aube du déconfinement et à l’inverse du projet d’ouverture d’un certain nombre de lieux publics tels que les parcs et les jardins, espaces essentiels à l’équilibre de la vie citoyenne, le Gouvernement maintient le principe de l’interdiction d’accès aux plages, naturelles ou artificielles jusqu’au moins le 1er juin et renvoie à un décret le soin de préciser la réglementation et sa mise en oeuvre.Une mesure qui interroge tant sur le plan juridique, économique que sociétal au même titre que l‘interdiction de navigation corollaire de la liberté d’aller et venir

De la restriction raisonnée à l’atteinte non proportionnée de liberté

Le Conseil constitutionnel attribue à la liberté d’aller et venir une valeur constitutionnelle et la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et du Citoyen proclame le droit à la liberté ayant pour finalité d’assurer que nul n’en soit dépouillé de manière arbitraire, autrement dit qu’il soit caractérisé un lien de proportionnalité entre la finalité poursuivie et les moyens employés.

Le droit européen opère une différence entre les restrictions à la liberté de circuler qui sont suffisamment graves pour constituer une privation de liberté et celles qui ne restent que de simples restrictions à la liberté de circuler.

L’exercice du droit de circulation ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Autrement dit, alors qu’une privation de liberté n’est admissible que sur la base des motifs énumérés exhaustivement par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et du Citoyen et que les personnes concernées disposent de droits de procédure spécifiques, la liberté de circulation au sens de l’article 2 du Protocole n°4 de peut être restreinte au cas où cette restriction se fonde sur une base légale et qu’elle est nécessaire à la poursuite d’un intérêt public légitime, c’est-à-dire qu’elle reste proportionnée

Pour distinguer entre privation et restriction de liberté, la Cour Européenne souligne que seuls sont décisifs le degré et l’intensité de la mesure, c’est-à-dire sa durée et ses modalités d’exécution, et non pas sa nature abstraite. Le délimitation entre privation et restriction de liberté est donc liée à l’intensité de la mesure et non à sa nature. 

Le caractère contraignant d’une interdiction générale et non proportionnée d’un accès aux plages, en tant qu’elle constitue une mesure policière, dont le non-respect est sanctionné par une disposition pénale, sa durée et ses effets sur les personnes concernées, pourrait être constitutif d’une privation de liberté illégale, ceci d’autant plus que le Gouvernement dispose de moyens moins intrusif (application des règles de distanciations physiques et gestes barrières) dans la situation donnée.

En outre, le maintien de l’interdiction générale de l’accès aux plages est juridiquement fragile et contestable au regard du critère de proportionnalité dès lors que le Gouvernement autorise l’accès à d’autres lieux publics, tels que les jardins et parcs, présentant des caractéristiques similaires en terme de densité de population et de facteur de risque sanitaire.

Enfin il en résulte des difficultés d’interprétation par les pouvoirs de police et les usagers avec des ruptures d’égalité puisqu’une embarcation pourrait partir d’un port de plaisance, alors qu’elle se le verrait interdit d’une plage.

Responsabilité des autorités locales

Sous l’impulsion de plusieurs élus, le Parlement a adopté en première lecture un article 5 bis qui renvoie à un décret le soin de définir les conditions dans lesquelles les plages seront en tout ou partie ouvertes au public pour la pratique d’une activité sportive individuelle à partir de début juin, indépendamment des éventuelles mesures de restriction ou d’interdiction de la circulation des personnes pouvant être décidées sans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Or, force est d’admettre que la réglementation de l’ouverture des plages naturelles et artificielles, de par leur diversité en terme de configuration géographique et de densité touristique, doit s’effectuer dans une approche territorialisée, c’est à dire relever de la compétence des Préfets et des Maires.

Articulation entre liberté d’aller et venir et protection sanitaire

En lieu et place d’un texte à portée générale, la mise en œuvre de la réouverture de manière raisonnée et encadrée des plages doit logiquement revenir aux autorités locales et notamment le maire, mieux à même d’appréhender les contraintes de son territoire littoral pour mettre en oeuvre des mesures conjuguant rétablissement de la liberté d’aller et venir et protection sanitaire.

Il devrait incomber à chaque autorité locale de définir avec discernement et responsabilité les installations autorisées et la typologie des plages des communes concernées au regard de leur situation en milieu urbain ou naturel afin de pouvoir justifier du respect des gestes barrière édictées par le Gouvernement.

Au regard de son pouvoir de police spéciale qui doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois, le maire édicte des mesures de police en vue de réglementer l’accès aux plages et la pratique de la baignade.

Ces mesures doivent répondre à trois exigences :

  • Être adaptées
  • Être nécessaires
  • Être proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage.

En ce sens le Conseil d’Etat a jugé dans une décision du 17 avril 2020 que le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 du code de la santé publique la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation

Afin d’harmoniser et d’affiner les mesures édictées par les maires, le dispositif pourrait s’appuyer sur la concertation entre le Préfet maritime, les Préfets de départements, les élus locaux et la communauté des sports nautiques afin de permettre une reprise progressive des activités physiques individuelles (marche côtière, baignade, sports nautiques, pêche de loisir…) dans le respect de protocoles sanitaires strictement défini par les autorités gouvernementales.

Mise en oeuvre de plages dynamiques

L’une des réflexions engagées par nombre d’acteurs, pratiquants et collectifs locaux des activités nautiques se base sur le principe de plage dynamique selon lequel l’ouverture est conditionnée à une utilisation locale de passage et d’accès au plan d’eau pour la pratique d’activités nautiques et non comme un lieu de présence statique ceci afin de respecter les consignes sanitaires et de distanciation physique

Une autorisation des pratiques dans un cadre raisonné permettrait non seulement la relance des activités économiques, mais aussi une démarche progressive d’appropriation du littoral en amont de la saison estivale.

Il s’agit en ce sens, d’autoriser le déconfinement non pas vis à vis d’un lieu donné, mais au regard de pratiques sportives dont l’exercice suppose un accès spécifique et dont la mise en oeuvre respecte les consignes sanitaires. Une vigilance particulière devra en outre être assurée au niveau de l’avant-plage pour réguler les arrivées et prévenir les rassemblements, notamment en zones touristiques denses.

En conclusion, l’intérêt de la santé publique justifie de prendre des mesures proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population.

Dès lors que la loi attribue aux élus locaux les prérogatives de puissance publique pour garantir le respect des règles de distance dans les rapports interpersonnels, mettre en oeuvre des plages dynamiques, c’est à dire à des fins exclusives de pratique sportive de pleine nature, et sanctionner les contrevenants, le maintien d’une interdiction générale d’accès aux plages naturelles ou artificielles sur l’ensemble des littoraux serait constitutif d’une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’aller et venir.

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