Obligations et responsabilités de l’entreprise maritime et des ports de plaisance en crise sanitaire



Les ports de plaisance et les industries nautiques sont des secteurs d’activité qui emploient de nombreux salariés avec des risques professionnels importants qu’il s’agisse de blessures, de manipulation de produits dangereux, d’inhalation de poussières ou encore de contraintes posturales. Lors d’une crise sanitaire exceptionnelle, les obligations et donc les responsabilités de ces employeurs sont d’autant plus importantes par le risque d’augmentation des risques professionnels. En ce sens, une épidémie suscite de nombreuses interrogations concernant l’organisation du travail à mettre en œuvre et l’application de la réglementation relative à la protection de la santé et de la sécurité des salariés

Une crise sanitaire, comme une épidémie, impose une vigilance toute particulière dans l’intérêt des salariés et des entreprises. La présence des salariés nécessaires au fonctionnement tant d’une entreprise maritime que d’un port de plaisance sera largement fonction de la capacité de l’entité à répondre à leurs inquiétudes et des assurances qui leur seront données d’être correctement protégés contre les risques spécifiques liés à une crise exceptionnelle

Obligations des entreprises maritimes et des ports de plaisance

En application de l’article L 4121-1 du Code du travail tout employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.

Cette obligation est d’autant plus prégnante concernant ses secteurs d’activités maritimes, comme l’industrie nautique ou les ports de plaisance, au sein desquels il existe des risques particulièrement important pour les salariés en tant que la plupart des métiers sont exigeants sur le plan physique (manutention, aménagement), de la santé (manipulation de produits chimiques avec les composites et les résines, carénage…) et contraignants en termes de délais à respecter que soit auprès des clients ou des distributeurs de navires de plaisance.

Pour ce faire, l’entreprise maritime ou le port de plaisance doit mettre en oeuvre différents mesures et les adapter pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes

Obligation de résultats de santé et sécurité

En temps habituel, les dispositions de l‘article L.4321-1 du Code du travail imposent à l’employeur d’équiper, installer, utiliser, régler et maintenir en état les équipements de travail et les moyens de protection mis en service ou utilisés dans les établissements de manière à préserver la sécurité et la santé des travailleurs.

Une crise sanitaire induit un changement de circonstances qui conduit l’entreprise maritime à s’assurer que les mesures qu’elle met en œuvre habituellement sont toujours adaptées ou doivent l’être pour protéger les salariés contre les risques par exemple de contamination

Pour ce faire, une réévaluation du risque professionnel doit viser à réduire au maximum les risques de contagion sur le lieu de travail ou à l’occasion du travail.

Concrètement, l’entreprise maritime ou le port de plaisance doit passer en revue les circonstances dans lesquelles les salariés peuvent être exposés risque sanitaire et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour éviter ou, à défaut, limiter au plus bas le risque.

Parmi les actions qui incombent à l’employeur, celui-ci doit prendre des mesures préventives en appliquant par exemple des règles de nettoyage des locaux, des sols et des surfaces ainsi que prendre des mesures en cas de contamination ou de suspicion chez les salariés qui présenteraient ou non des symptômes

En cas de contamination, l’employeur a l’obligation de renvoyer son salarié à son domicile, de contacter le SAMU en cas de symptômes graves et d’informer l’ensemble des salariés qui auraient été en contact étroit avec le salarié.

S’agissant de la collecte de données personnelles des salariés, en dehors de toute prise en charge médicale, afin de déterminer s’ils pourraient présenter un risque sanitaire pour l’entreprise, la Commission Nationale Informatique et Liberté recommande de s’abstenir de collecter de manière systématique et généralisée, ou au travers d’enquêtes et demandes individuelles, des informations relatives à la recherche d’éventuels symptômes.

Prévention des risques professionnels

Au-delà de l’exigence de sécurité et de santé au travail, l’entreprise maritime doit prendre en compte l’ensemble des risques psychologiques et psychiques auxquels le salarié est exposé et à ce titre mettre en place des actions de prévention , d’information et de formation ainsi que l’organisation de moyens adaptés pour empêcher, faire cesser ou diminuer le risque.

En ce sens, il est recommandé pour l’employeur de :

  • Sensibiliser et inviter ses salariés à effectuer des remontées individuelles d’information les concernant en lien avec une éventuelle exposition
  • Faciliter leur transmission par la mise en place, au besoin, de canaux dédiés
  • Favoriser les modes de travail à distance et encourager le recours à la médecine du travail

Ces actions envers les salariés qui en ressentent le besoin vise à éviter des situations d’isolement et doit encourager des modes alternatifs de communication lors de situation de distanciation sociale. Le dialogue dans l’entreprise revêt alors une importance essentielle en situation de crise.

En ce sens, l’entreprise maritime ou le port de plaisance doit prodiguer des conseils qui visent à accompagner et optimiser de nouveaux modes de travail :

  • Apporter des consignes pour prévenir la confusion de temps entre vie personnelle et professionnelle
  • Définissant un cadre de travail adapté avec par exemple une distanciation sociale et des gestes barrières
  • Mettre à disposition du savon et du gel hydroalcoolique en quantité suffisante
  • Limiter le regroupement des salariés dans des espaces réduits, espacer les postes de travail et encourager la rotation des équipes
  • Fractionner les pauses afin de réduire les croisements et la promiscuité dans les salles de pause
  • Informer et sensibiliser sur le risque

S’agissant du télétravail, si en temps normal un employeur peut refuser à un salarié le télétravail, une circonstance sanitaire exceptionnelle l’oblige à mettre en oeuvre cette possibilité quand celle-ci est réalisable sous peine que l’employeur engage sa responsabilité.

A titre d’exemple, en cas de crise sanitaire, il est au recommandé aux ports de plaisance de fermer l’accueil des capitaineries au profit d’une gestion dématérialisée avec permanence téléphonique ainsi qu’une veille administrative et technique à distance.

Des mesures de garde ponctuelle peuvent également être mise en place afin de surveiller par exemple les infrastructures portuaires et les postes d’amarrage ceci pour pourvoir à certaines urgences et assurer une continuité de service public notamment vis à vis des professionnels

Enfin, l’employeur doit rendre compte aux salariés et à leurs représentants des mesures mises en place dans le cadre d’une crise sanitaire qu’il s’agisse du fonctionnement de l’entreprise comme une activité partielle, du suivi des salariés et de la prise en compte des situations particulières.

Les règles de sécurité dans l’entreprise peuvent être contrôlées par l’inspection du travail qui peut :

  • Dresser des procès-verbaux et mettre en demeure l’employeur en cas d’infraction
  • Saisir le juge des référés en cas de risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un salarié
  • Prescrire toutes les mesures utiles et notamment, en cas de danger grave et imminent, l’arrêt temporaire des travaux

Responsabilités des entreprises maritimes et des ports de plaisance

Dans l’industrie nautique ou les ports de plaisance, les dangers de chute, de manipulation de produits, d’inhalation de poussières, de blessures, de fortes contraintes posturales ou encore de travaux en hauteur, occasionnent de fréquents accidents du travail et maladies professionnelles pouvant mettre en jeu la responsabilité civile voire pénale de l’employeur.

En cas de crise sanitaire, la proximité d’autres intervenants sur les quais, les pontons ou les zones de carénage majorent les risques de contamination.

Les salariés et les entreprises sont souvent conscients de l’existence de ces risques professionnels notamment quand ils sont à effet immédiat et visible voire maîtrisés, mais d’autres sont encore ignorés ou ressentis comme une fatalité avec le risque du métier notamment les troubles musculo-squelettiques.

Un salarié d’un port de plaisance peut chuter lors d’une veille sur un ponton humide et tomber à la mer

Un salarié d’une industrie nautique peut être confronté, exceptionnellement, à des interventions sur des matériaux susceptibles d’émettre des fibres d’amiante

Un électronicien, chargé de remplacer une girouette électronique en tête de mât peut chuter

Responsabilité de résultats

Par principe, la responsabilité de l’employeur est de résultats en matière d’accident du travail et de maladie professionnelle et peut donc être engagée sans qu’il soit besoin pour la victime d’apporter la preuve d’une faute de l’employeur.

La simple constatation du manquement à l’obligation de santé ou de sécurité suffit pour engager la responsabilité de l’employeur, ceci même en l’absence d’accident du travail et de maladie professionnelle

Dans le cadre d’une crise sanitaire, cette responsabilité est évaluée au cas par cas, au regard de plusieurs critères :

  • Nature des activités du salarié et son niveau d’exposition aux risques
  • Compétences et expérience du salarié
  • Étendue des mesures prises par l’employeur, notamment en termes de formation et d’information et d’organisation du travail

En ce sens, l’employeur étant tenu d’atteindre un résultat, en cas de mise en danger du salarié ou de défaut de sécurité, il sera présumé de plein droit responsable et ne pourra s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant un cas de force majeure ou, à défaut, le fait que le salarié ait lui-même concouru à la production de son dommage.

Responsabilité de moyen renforcée

Si dans de nombreux contentieux, la jurisprudence retient la responsabilité de l’employeur dès lors que le résultat dommageable se produit alors que des mesures de prévention adéquates avaient été mises en œuvre, certaines décisions semblent transformer progressivement l’obligation de résultats en obligation de moyens renforcée par laquelle l’employeur peut se déresponsabiliser en démontrant avoir pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleur.

Autrement dit, une entreprise maritime ou un port de plaisance ne pourrait se voir reprocher de méconnaître ses obligation légales lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par le législateur

Faute inexcusable de l’employeur

L’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale retient une responsabilité accrue de l’employeur quand il aurait dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Autrement dit, lorsque l’accident du travail ou la maladie professionnelle est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit obtiennent une majoration de leur rente et une indemnisation complémentaire au titre de divers préjudices subis et non réparés par la majoration. Ces réparations complémentaires sont versées par la Caisse primaire d’assurance maladie qui les récupère auprès de l’employeur.

Pour que la faute inexcusable de l’employeur soit reconnue par les juridictions, il appartient à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle de démontrer :

  • Que son employeur avait, ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel il était exposé
  • Qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il suffit donc que la faute soit une cause nécessaire du dommage pour que la responsabilité de l’employeur se trouve engagée et le fait que le salarié ait lui-même commis une imprudence ayant concouru à son dommage ne peut pas atténuer la faute de l’employeur.

Majoritairement, les tribunaux retiennent la faute inexcusable suite à des salariés victimes d’une exposition à l’amiante

Depuis 2002, la Cour de cassation jugeait que l’employeur étant contractuellement tenu envers le salarié à une obligation de sécurité de résultat, le manquement à cette obligation avait le caractère d’une faute inexcusable s’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et s’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Puis, par un arrêt du 8 octobre 2020, désormais, c’est le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur qui a le caractère d’une faute inexcusable si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié et s’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Cette nouvelle définition retenue pour la faute inexcusable tire les conséquences des évolutions de la jurisprudence en matière d’obligation de sécurité : d’une part, la chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt du 28 février 2006 a abandonné le fondement contractuel de l’obligation de sécurité pour s’en tenir au seul fondement légal, d’autre part, elle a décidé par un autre arrêt du 25 novembre 2015 que l’employeur justifiant avoir pris toutes les mesures prévues par les dispositions en matière d’hygiène et de sécurité applicables devait être exonéré de sa responsabilité.

En cas de faute inexcusable, le salarié pourra obtenir une réparation intégrale ainsi que l’indemnisation de tous ses préjudices et une majoration de sa rente en cas d’invalidité selon l’article L.452-2 du Code de la Sécurité sociale

Obligations et responsabilités du salarié

Le salarié bénéficie de droits et de protections, mais est également assujetti à des obligations résultant du lien de subordination vis à vis de son employeur.

Il est notamment tenu dans le respect son contrat de travail au respect des règles de discipline et des directives de l’employeur, d’un devoir de loyauté ou encore de discrétion voire de réserve.

En ce sens, dans le cadre d’une crise sanitaire, un salarié qui refuserait de quitter son poste de travail malgré les consignes et de son employeur, commettrait une faute d’imprudence susceptible d’engager sa responsabilité

L’Article L 4122-1 du Code du travail précise que chaque salarié est acteur de sa propre protection et doit prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et sécurité ainsi que celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail

Obligation d’alerter

Le salarié à une obligation d’alerter immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection, ceci conformément à l’article L 4131-1 du Code du travail

Chaque salarié doit ainsi mettre en œuvre tous les moyens afin de préserver la santé et la sécurité d’autrui et de lui-même et informer son employeur en cas de suspicion de contact avec le virus

Obligation de se retirer

Le droit de retrait est une disposition qui permet à un salarié de se retirer d’une situation de travail s’il considère qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

Si le salarié dispose d’un droit de retrait pour interrompre ses activités, tant que l’employeur n’a pas mis en place les mesures de prévention adaptées, ce dernier dispose du pouvoir discrétionnaire d’imposer le salarié à mettre en oeuvre ce droit.

L’employeur ne peut demander au salarié qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent

En cas de litige, il reviendra aux tribunaux d’apprécier au cas par cas si les conditions d’exercice du droit de retrait sont réunies.

Responsabilités

Dans le cadre de son activité professionnelle, le salarié peut être amené à commettre des dommages. En ce sens, le salarié pourra voir sa responsabilité engagée en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement

Pour se faire, il doit être établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Le salarié peut également être l’auteur d’une faute inexcusable qui s’entend d’une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, ce qui exclut de retenir la négligence, l’imprudence et l’inattention du salarié.

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