Protection sociale des marins professionnels en mobilité sur des pavillons européens
Les marins professionnels en mobilité internationale peuvent se prévaloir, selon certaines conditions, des accords bilatéraux de protection sociale au sein de l’Europe qui ont pour objectif de faciliter la libre circulation avec des mécanismes qui permettent de protéger les droits sociaux entre les Etats membres.
L’objectif de la coordination sociale est de faciliter la libre circulation des marins professionnels afin d’éviter une perte des droits lors des déplacements en Europe et de se prémunir de conflits de lois et de litige entre employeurs et marins notamment lors des mobilités internationales hors de l’Union Européenne. Les conventions bilatérales de protection sociale sont des accords juridiques passés entre les Etats afin de coordonner les législations et garantir un maximum de droits à protection aux personnes en situation de mobilité.
La situation sociale des marins en mobilité internationale à bord d’un navire battant pavillon d’un Etat membre de l’Union Européenne ou de la Suisse, est notamment régie par les Règlements Européen n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ainsi que son Règlement d’application 987/2009
Au préalable, et en application des articles L. 5221-2 et R 5221-3 du Code du travail, tout marin ressortissant étranger qui souhaite travailler sur un navire battant pavillon français devra obtenir au préalable une autorisation de travail qui prend la forme d’un titre de séjour ou d’un contrat visé par l’autorité compétente pour la délivrer à savoir la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.
Les Règlements européens posent des principes fondamentaux pour faciliter la coordination sociale et faciliter la mobilité des marins :
- Levée des clauses de résidence pour l’accès aux prestations ;
- Totalisation des droits, notamment en tenant compte des périodes d’activité accomplies dans chaque Etat membre, lors du calcul de la retraite
- Bénéfice éventuel du statut de travailleur détaché, permettant d’exercer temporairement son activité sur un navire battant pavillon d’un autre Etat, pour le compte de son employeur, tout en restant affilié dans l’Etat habituel d’emploi.
Les règlements européens couvrent toutes les branches de la sécurité sociale, et sont applicables à tous les ressortissants, y compris d’Etats tiers sauf pour certains Etats.
Champ de compétence des Règlements européens
Ces Règlements s’appliquent aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas déjà couverts par lesdits règlements uniquement en raison de leur nationalité, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants, dès lors qu’ils résident légalement sur le territoire d’un État membre et qu’ils se trouvent dans une situation dont tous les éléments ne se cantonnent pas à l’intérieur d’un seul État membre
Autrement dit, tout marin ressortissant d’un Etat tiers et qui réside habituellement dans un Etat membre de l’Union Européenne pourra se prévaloir des règles de coordination décrite dans les Règlements européen.
Le Danemark et le Royaume-Uni, font exception à ce principe parmi les Etats de l’Union Européenne en tant qu’ils n’appliquent pas ces règlements communautaire. En conséquence, le marin ressortissant d’un Etat tiers ne peut se prévaloir, sur le territoire danois ou britannique de la Réglementation européenne
Principe de la loi du pavillon
En application de l’article 11-4 du Règlement CE 883/2004, l’activité salariée ou non salariée exercée normalement à bord d’un navire en mer battant pavillon d’un État membre est considérée comme une activité exercée dans cet État membre
En ce sens, par principe la protection sociale à laquelle est assujettie un marin professionnel en mobilité internationale sera celle de l’Etat du pavillon du navire sur lequel il est embarqué.
Dans cette situation, le siège social de l’employeur n’est pas une condition du champ d’application du règlement CE 883/2004 et peut se situer indifféremment dans un pays communautaire ou extra communautaire.
Dérogation à la loi du pavillon
Dans certaines situations, le régime de protection sociale applicable dérogera au principe de la loi du pavillon
Affiliation de plein droit au lieu de résidence du marin
L’article 11-4 du Règlement Ce 883/2004 énonce que précise la personne qui exerce une activité salariée à bord d’un navire battant pavillon d’un État membre et qui est rémunérée pour cette activité par une entreprise ou une personne ayant son siège ou son domicile dans un autre État membre est soumise à la législation de ce dernier État membre si elle réside dans cet État.
A ce titre, lorsqu’une entreprise d’armement maritime, ayant son siège en France, recrute un marin ayant sa résidence principale en France en vue d’être embarqué sur des navires battant pavillon d’un autre Etat membre qu’elle exploite, ce marin est de droit affilié au régime de sécurité sociale français s’il y était préalablement affilié.
La Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé dans l’affaire C-631/16 du 8 mai 2019 que cette situation doit être interprétée dans le sens où un marin, qui travaille pour le compte d’un employeur établi dans un Etat membre sur un navire battant pavillon d’un Etat tiers et naviguant en dehors du territoire de l’Union Européenne, et qui a conservé sa résidence dans son Etat membre d’origine, relève du champ d’application de cette activité, de sorte que la législation nationale est celle de l’Etat membre de sa résidence.
Le Règlement européen entend comme un employeur l’entreprise ou la personne qui verse la rémunération. Cette définition soulève des difficultés juridiques au regard du droit français, ce dernier considérant l’employeur comme l’entité signataire du contrat de travail et donnant en droit des directives.
Détachement
Les dispositions relatives au détachement ont pour objet de promouvoir la libre prestation des services au bénéfice des employeurs qui en font usage en envoyant des marins dans d’autres États membres que celui dans lequel ils sont établis, ainsi que la libre circulation des marins dans d’autres États membres.
Elles visent ainsi à surmonter les obstacles susceptibles d’entraver la libre circulation des marins et également à favoriser l’interpénétration économique en évitant les complications administratives, en particulier pour les marins et les entreprises.
L’article 12-1 du règlement précise que la personne qui exerce une activité salariée dans un Etat membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre Etat membre, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne.
A l’appui de cette disposition, le détachement qui permet le maintien d’affiliation auprès du régime social précédant la mobilité du marin sur un navire battant pavillon d’un autre Etat, est conditionné au respect :
- Du maintien du lien contractuel entre le marin et l’employeur à l’origine du détachement
- A une durée ne pouvant excéder deux ans étant précisé que la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale a précisé qu’un délai minimal de deux mois doit s’écouler à compter de la date de fin de détachement, avant qu’une nouvelle période de détachement concernant le même marin, le même employeur et le même État membre puisse être autorisée
- A l’interdiction que le détachement procède au remplacement d’un autre marin détaché pour la même mission
Les marins-non salariés peuvent également se prévaloir de cette disposition.
Le maintien au régime de protection sociale de l’Etat dans lequel le marin non salarié exerce habituellement son activité est alors envisageable sous certaines conditions :
- L’activité non salariée doit être habituelle et substantielle c’est-à-dire présenter un caractère d’antériorité et être réelle. Le caractère substantiel de l’activité est évalué sur la base d’un ensemble de critères tels que l’usage de bureaux, le versement d’impôts, la détention d’une carte professionnelle et d’un numéro de taxe sur la valeur ajoutée, l’inscription auprès de chambres de commerce ou d’organisations professionnelles.
- L’activité doit, avant la mission, être exercée depuis au moins deux mois dans le territoire habituel d’établissement
- Le marin non-salarié doit maintenir dans le pays habituel d’activité un établissement et avoir pris les dispositions nécessaires pour maintenir pendant sa mission une activité dans le pays habituel de travail de telle sorte qu’il sera en mesure de la reprendre à tout moment
- La mission ne peut être supérieure à deux ans
Si les conditions de l’auto-détachement ne sont pas réunies, le marin non salarié devra obligatoirement être immatriculé et affilié au régime de sécurité sociale de l’Etat membre sur le territoire duquel il effectue sa mission
Accords dérogatoires
L’article 16§1 du Règlement 883/2004 dispose que les autorités compétentes de deux ou plusieurs États membres ou les organismes désignés par ces autorités peuvent prévoir d’un commun accord, dans l’intérêt de certaines personnes ou catégories de personnes, des dérogations aux règles de coordination sociale notamment à la loi du pavillon et au détachement.
Dans cette hypothèse, il incombe à l’employeur de solliciter directement les organismes de liaison compétents et d’apporter la preuve écrite de l’obtention de cette dérogation exceptionnelle auprès des différents Etats en présence
Assurance chômage
Les conventions bilatérales de sécurité sociale ne prévoient pas l’exportation des prestations de chômage en dehors de l’Union Européenne.
En revanche, un marin ressortissant d’un Etat communautaire qui percevrait de prestations chômage d’un précédant Etat lors d’une mobilité internationale, pourra conserver les prestations en France durant trois mois maximum. Ce maintien de droit permet à l’institution du nouveau pays d’emploi de tenir compte des périodes d’assurance ou d’emploi accomplies dans l’ancien État d’affiliation pour examiner, selon la législation du nouveau pays d’emploi, les droits à des prestations chômage.
Pour autant, une amélioration des normes régissant les régimes d’assurance chômage des États membres permettrait un fonctionnement plus efficace du marché du travail.
En ce sens, le Comité économique et social européen a évoqué en mars 2020 le principe des droits sociaux inscrits au sein du socle européen, concernant les prestations de chômage, l’assurance chômage constituant une des clés de voûte des régimes de sécurité sociale des Etats membres.
Le Comité préconise la fixation d’objectifs en ce qui concerne les prestations de chômage des États membres, lesquels devraient porter sur le taux de remplacement net, la durée des droits à prestations et le taux de couverture
Coordination et crise sanitaire
Les contextes de crise sanitaire induisant des mesures exceptionnelles prises par un Etat soulève des questions quant à l’application des règles de coordination au sein de l’Union Européenne, en particulier de l’impact de ces mesures sur la situation des marins en mobilité internationale
Par principe, les marins professionnels en mobilité sur un navire battant pavillon européen et qui remplissent les conditions d’affiliation au régime de l’Etat ayant décidé des mesures exceptionnelles, bénéficient des mêmes mesures d’accompagnement et dans les mêmes conditions que tous les autres assurés du régime social concerné.
A l’inverse, les marins qui sont embarqués sur un navire battant pavillon d’un Etat conduisant à une rupture d’affiliation avec l’Etat ayant décidé des mesures exceptionnelles, ceci quand bien même ils pourraient y avoir leur résidence habituelle, ne peuvent bénéficier de ces dispositions.