Les évasions maritimes : du Comte de Monte-Cristo aux échappés d’Alcatraz



Retour sur quelques unes des grandes évasions maritimes qui ont marqué l’Histoire, pour certaines romancées à partir de faits réels comme le Comte de Monte-Cristo jusqu’à l’incroyable épopée des évadés de la prison d’Alcatraz au large de St Francisco.

« C’est dans les prisons que l’idée de liberté prend le plus de force »
Jean Cocteau

La mer est souvent associée à l’idée d’évasion puisque son immensité est propice aux voyages et son étendue amoindrie la notion de limites. La mer fut donc le lieu de célèbres évasions de prison, évoquées dans la littérature ou dans le cinéma. Des histoires vécues dont le point commun fut un passage par la mer pour échapper aux geôliers. 

Le Comte de Monte-Cristo

Le plus célèbre des évadés est le Comte de Monte-Cristo, personnage inventé par l’écrivain Alexandre Dumas dans son célèbre roman éponyme du XIXème siècle. Sa publication s’inspire largement d’une histoire vraie, celle de Gaspard-Antoine Pastorel, renommé François Picaud dans l’histoire « Le Diamant et la Vengeance », elle-même relatée par un archiviste de la préfecture de Police de Paris et dont s’est inspirée Alexandre Dumas pour créer le personnage d’Edmond Dantès, le Comte de Monte-Cristo. 

En réalité, Gaspard-Antoine est un marseillais, né le 9 octobre 1784, fusiller au sein du 37ème régiment d’infanterie, il prendra part aux combats en Italie mais après sa désertion il va commettre de nombreux vols sous des noms d’emprunts. Il sera notamment arrêté par François Vidocq (l’ancien bagnard devenu fondateur de la police judiciaire) et s’évadera successivement des prisons de Niort, Limoges puis Grenoble.

Edmond Dantès en revanche, est d’abord victime d’une machination en étant dénoncé comme conspirateur. Accusé -à tort- d’être un espion au service d’une puissance étrangère et injustement emprisonné. Il passe plus de 10 ans dans une forteresse étroitement surveillée. Durant son incarcération dans une cellule du château d’If, au large de Marseille, il décide de s’évader pour fuir le désespoir de l’enfermement. Il creuse d’abord un petit tunnel vers une geôle voisine, celle de l’abbé Faria qui lui apprend l’existence d’un trésor caché. Il réussit à s’évader et prend possession du trésor sur l’ile de Montecristo au large des côtes italiennes et met en place sa vengeance. 

Son évasion est particulière, car c’est la mer qui lui sert de lieu d’évasion. En effet, son ami l’abbé Faria, récemment décédé doit être enterré. Il décide de prendre sa place dans le sac mortuaire. Considérant qu’il s’agissait d’un cadavre, les fossoyeurs jetèrent le corps à l’eau. Une fois lancé dans la mer, Dantès trouve la force de s’immerger et de rejoindre la rive opposée à la nage. 

Henri de Rochefort 

Autre personnage connu pour son évasion de prison en passant par la mer : Henri de Rochefort. Cet ancien communard devenu bagnard était arrivé en Nouvelle-Calédonie à la suite d’une condamnation aux travaux forcés.

La Commune, épisode révolutionnaire à Paris violemment réprimé en 1871, a entraîné de nombreuses condamnations et notamment des déportations vers le bagne en Nouvelle-Calédonie. En effet, une loi datant de 1872 fixa la Nouvelle-Calédonie comme lieu de déportation et précisément la presqu’île Ducos : une bande de terre sablonneuse qui ferme le nord de la rade de Nouméa et qui se termine en zones marécageuses, au bout de laquelle se trouve une grande enceinte fortifiée. 

En mai 1872, le premier convoi de déportés embarqua à bord de la frégate LA DANAE. Le trajet vers la Nouvelle Calédonie durait environ 5 mois car les navires contournaient l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance avec une escale par l’île de Gorée. Débarqués sur place, les condamnés étaient orientés en fonction de la nature de leur peine puis avaient le crâne rasé et devaient porter un vêtement spécial. Ils étaient employés à divers travaux, occasionnellement comme aconiers (des préposés au chargement et à l’arrimage à bord d’un navire) et plus fréquemment à des travaux de terrassement.

Les conditions de vie étaient très pénibles pour les incarcérés. Ils devaient porter une chaîne aux pieds et pouvaient être l’objet de nombreuses punitions qui pouvaient aller jusqu’au fouet et aux fameuses « poucettes » destinées à serrer les doigts jusqu’à la dernière limite. De plus, la chaleur était étouffante et les conditions d’hygiène déplorables (certains députés dénoncèrent ces sévices dès 1875). 

Arrivé au bagne, Henri Rochefort, qui avait été condamné à la déportation dans l’enceinte fortifiée, va préparer son évasion avec quelques-uns de ses compagnons, parmi lesquels des anciens communards dont Francis Jourde et Paschal Grousset mais aussi Achille Ballière, Charles Bastien et Olivier Pain. 

Le soir du 19 mars 1874, à la nuit tombée alors que le temps est exécrable, Grousset, Pain et Rochefort, parviennent à atteindre l’îlot Kuauri à la nage….

Les « déportés libres » Jourde, Ballière et Bastien (ce dernier dispose d’une petite embarcation) viennent ensuite les récupérer en bateau. Etant précisé que les « déportés simples » résident à Nouméa et sont totalement libres de leurs déplacements, sous réserve de signaler leur présence une fois par mois et de ne pas dépasser un périmètre de vingt-cinq kilomètres. De plus, ils disposent librement de leur argent.

Après une traversée mouvementée, ils parviennent à se hisser à bord d’un navire anglais qui venait de transporter une cargaison de charbon en Nouvelle-Calédonie. David Law, le capitaine, accepte d’accueillir les fugitifs à son bord, moyennant une forte somme d’argent. Le bateau lève l’ancre au petit matin mais, faute de vent, ce n’est qu’en milieu d’après-midi qu’il dépasse les eaux côtières. Sept jours plus tard, les six évadés parviennent en Australie le 27 mars. Olivier Pain et Rochefort choisissent de passer par l’Amérique où Rochefort, sollicité par le New York Herald pour rapporter le récit de la déportation, accepte de livrer ses témoignages avant de rejoindre la Grande-Bretagne le 18 juin 1874 où ils sont accueillis à Londres, par des Communards en exil.

Toujours recherché par la police, Rochefort se réfugiera ensuite à Genève. Son évasion fit grand bruit (c’est la seule évasion réussie de toute l’histoire du bagne de Nouvelle-Calédonie) et cet évènement provoqua un redoublement de la surveillance et un durcissement des conditions de vie.

Papillon 

Autre célèbre bagnard, dont l’évasion a été popularisée par la littérature et le cinéma : Papillon. Surnom d’un évadé du bagne de Cayenne (qui était l’une des prisons les plus terribles au monde, pire que le bagne de Nouvelle-Calédonie). Son histoire retrace l’envie obsessionnelle de s’évader que peut ressentir un prisonnier. 

« Papillon » est un roman éponyme d’Henri Charrière. Lui-même ancien bagnard mais son personnage est inspiré par plusieurs récits réels, empruntés à d’autres bagnards évadés (Charles Brunier et René Belbenoit).

En 1925, à l’âge de 19 ans, il s’engage dans la Marine et se fait tatouer un papillon durant cette période. Supportant mal l’autorité, il parvient à se faire réformer après s’être mutilé le pouce. À son retour, il s’installe à Paris et vit, de petite délinquance. Mais en 1930, il est accusé du meurtre d’un proxénète (ce qu’il a toujours nié) et est condamné à une détention au bagne en Guyane. En 1933, il arrive à Saint-Laurent-du-Maroni et fait connaissance avec un certain René Belbenoit durant son trajet.

Il est ensuite rapidement affecté comme aide-infirmier en hôpital où il rencontre d’autres détenus dont les évasions ont échoué mais il s’inspirera de leurs histoires pour la rédaction de son livre. Il s’évade une première fois en 1934 en passant par le fleuve Maroni pour rejoindre l’océan en barque mais échoue en Colombie où il est arrêté et remis aux autorités françaises. De nouveau jugé, il passe deux ans dans les terribles cellules de l’île Saint-Joseph. Après plusieurs transferts, il s’évade à nouveau (en 1944) en fuyant avec quatre codétenus. En 1945, il arrive enfin à gagner le Venezuela et ce n’est qu’en 1967, lorsque sa condamnation est prescrite, qu’il peut enfin quitter l’Amérique du Sud pour revenir vivre en France.

Impressionné par le succès littéraire de René Belbenoit, dont la biographie a connu un véritable succès aux Etats-Unis, Henri Charrière se décide à rédiger lui-aussi ses mémoires mais en y ajoutant des affabulations et des mensonges qui furent soulevées par deux autres écrivains : Georges Ménager auteur de « Les quatre vérités de Papillon » et Gérard de Villiers dans son livre « Papillon épinglé ». En réalité, Henri Charrière s’est approprié dans son œuvre, des éléments puisés dans la vie de René Belbenoit.

René Belbenoit fut condamné le 20 novembre 1921 à 8 ans de travaux forcés pour un cambriolage. Il était devenu le matricule n°46635, c’est à dire le 46635ème forçat envoyé au bagne depuis sa création en 1854.

Il s’évade de Guyane en 1924, en compagnie d’une bande de codétenus à l’aide d’une pirogue qui sera rapidement déviée par le vent et orientée vers la côte hollandaise et qui finira par rompre sous la force des vagues. Une fois sur terre, ils attendent le lendemain avant d’entamer une marche vers la Guyane Hollandaise mais ils seront stoppés par des indiens locaux qui les livreront aux français. Belbenoit voit sa peine alourdie de six mois, ce qui ne le dissuadera pas de tenter deux nouvelles évasions ! Malheureusement pour lui, ces dernières se solderont par des échecs et sa peine sera encore augmentée d’une année supplémentaire.

En 1930, après avoir purgé ses 9 années de détention, René Belbenoit est libéré du bagne mais demeure contraint de rester à Cayenne. Bénéficiant d’une permission exceptionnelle, il profite d’un séjour au Panama, dans la ville de Cristobal Colon, pour fuir en embarquant clandestinement à bord d’un bateau en partance pour la France. Arrivé au Havre, il sera reconnu et arrêté. Condamné en 1933, à 3 ans de travaux forcés, il retourne une fois de plus en prison et c’est lors de son renvoi en Guyane qu’il rencontre Henri Charrière et lui fait part de ses aventures.

Enfermé pendant 11 mois dans un cachot humide de l’ile Royale, ses conditions de détentions sont alors les plus pénibles de son existence. Il ne peut voir personne ni parler à ses gardiens. Sa seule distraction est de marcher de long en large dans son étroite cellule et il essaye de pratiquer du sport (des pompes et des flexions) pour stimuler son corps. Il parle également à lui-même afin de ne pas perdre l’usage de la parole et surtout il tente de garder la notion du temps, en inscrivant les jours qui passent, sur les murs à l’aide de ses ongles. De retour au bagne de Cayenne, il prépare encore une évasion avec une équipe de détenus. Ils s’évadent pendant une nuit en novembre 1934 en se glissant dans une pirogue. Il s’agit en réalité d’une embarcation très fragile, mal adaptée pour affronter l’océan et conçue dans l’espoir de rejoindre l’embouchure du Maroni (le même trajet que celui d’Henri Charriere quelques mois avant lui).

Pour cela, ils hissent une voile faite avec une toile de matelas cousue quelques vieilles chemises. Toutes les heures il est nécessaire d’écoper (de vider l’intérieur de la coque) et à chaque instant, le moindre clapotis fait sursauter les 6 fugitifs.

Pour se nourrir, ils utilisent un vieux bidon d’essence pour la cuisson du poisson ou pour préparer du thé afin de s’hydrater. La nuit tombante, ils arriment les provisions avec des ficelles car le vent se lève et la pirogue menace de se retourner.

Au terme d’une épuisante dérive de 17 jours et sous une terrible chaleur, ils arrivent enfin sur terre et accostent à proximité de Trinidad où -agréable surprise- les autorités locales sont favorables…aux évadés. Ils repartent alors, désormais équipés d’un bateau plus solide et avec des provisions pour plusieurs semaines. Ils atteignent enfin Santa Maria, une ville en Colombie, mais sont repérés et arrêtés et les voilà à nouveau en prison, dans le pénitencier de Barranquilla.

Belbenoit bénéficie cependant d’une complicité interne et arrive à s’enfuir puis à rejoindre, à pied et en passant par la jungle, le Panama où une tribu indienne le recueille durant 7 mois. Belbenoit garde le désir de gagner les Etats-Unis et quitte la tribu pour se rendre au Salvador avant d’embarquer clandestinement dans un cargo en direction de Los Angeles. 

Devenu écrivain, ses exploits seront publiés sous le titre « Dry Guillotine » et il connaitra un véritable succès littéraire, doublé d’un élan collectif de compassion à son égard.

Les évadés d’Alcatraz

Le pénitencier d’Alcatraz était une prison fédérale américaine située au large de San Francisco au milieu des eaux froides et agitées dans la baie. Connue pour sa surveillance hautement sécurisée, la prison était réputée car il était impossible de s’y évader. 

Pourtant en juin 1962, trois détenus parviennent à s’échapper en pleine nuit. Une chasse à l’homme s’engage dès le lendemain matin lorsque l’absence des prisonniers est signalée mais malgré une intense recherche, on ne retrouva jamais leur trace. 

Franck Lee Morris et les deux frères John et Clarence Anglin réussirent donc à fuir ce fort placé sur la petite ile de la baie de San Francisco, dans laquelle il est facile de se noyer en raison des forts courants et de la température de l’eau.

En effet, l’eau de l’océan ne dépasse quasiment jamais 16°c et peut en revanche descendre jusqu’à 10°c au mois de juin par l’effet « d’upwelling » soit une remontée d’eau froide depuis les profondeurs. L’eau glacée de la baie laisse donc peu de chances et la réussite d’une évasion tient surtout à la qualité du radeau. 

Les 3 fugitifs ont ainsi conçu un radeau gonflable capable de supporter le poids de 3 adultes et fabriqué à partir de plus de 50 imperméables, récupérés auprès d’autres détenus, gonflé à l’aide d’un petit accordéon.

C’est la fouille des cellules et les interrogatoires des autres prisonniers qui révèlera les méthodes utilisées par les fugitifs, méthodes confirmées par la retrouvaille des restes du radeau à Angel Island.

Parmi les autres traces des évadés retrouvées en mer, une pagaie et 2 gilets de sauvetage et une pochette en caoutchouc contenant des notes ont été repéchées et surtout un cargo norvégien quittant la baie avait repéré 5 semaines plus tard, un corps flottant dans l’eau sans pouvoir le récupérer mais dont la description vestimentaire correspondait à celle d’un évadé.

Billie Hayes

« Midnight Express » film culte des années 1970 est tiré d’un livre du même nom, lui-mêmeinspiré de l’histoire vraie de William Hayes, un touriste américain arrêté et emprisonné en Turquie en 1970 pour un trafic de stupéfiants. Espérant se faire un peu d’argent, Hayes avait tenté de rentrer aux États-Unis avec deux kilogrammes de haschich sur lui. Arrêté à l’aéroport puis soumis à une fouille au corps de la part des douaniers turcs, il se retrouve, de procès en procès, condamné pour l’exemple à trente ans de prison. 

Le titre du film, “Midnight Express” (« l’express de minuit»), vient de l’expression employée par les prisonniers pour désigner l’évasion. 

Mais après cette condamnation et voyant son incarcération prolongée, le détenu décide de réfléchir à son évasion. Il parvient à soudoyer un médecin pour obtenir un transfert (pour raisons médicales) à la prison d’Imrali, localisée sur une île située à 20 kilomètres des côtes turques dans la mer de Marmara.

Un soir de tempête, il se débrouille pour sortir après la dernière ronde d’inspection des gardiens car il savait qu’en raison des intempéries, des bateaux de pêche restaient au port. Il en profite pour se mettre à l’eau et nager très doucement afin de ne pas être entendu par les gardes armés, il s’approche délicatement d’un dinghy (un petit canot utilisé comme annexe) qu’il parvient à détacher en découpant le bout à l’aide d’un couteau, puis rame vers les côtes grecques qu’il parvient à rejoindre au lever du jour après 27 kilomètres de distance et sans aucun repère.

Toutefois, après avoir abandonné son embarcation, il lui reste à traverser une forêt puis à nager une rivière tout en étant épuisé et affamé. Repéré par les douaniers grecs, il est arrêté puis retenu 12 jours avant de gagner le consulat américain de Thessalonique et d’être expulsé par les autorités grecques. 

Références

 « Le Diamant et la Vengeance » Mémoires tirés des archives de la police de Paris, pour servir à l’histoire de la morale et de la police (1838) de Jacques Peuchet
« Gaspard-Antoine Pastorel – le véritable comte de Monte-Cristo » – Reportage de RMC Story
« La Commune de Paris par ceux qui l’ont vécue » de Laure Godineau
Documentaire de la RTBF sur Henri Charrière et René Belbenoit réalisé par Benoit Cornuau
« Belbenoît, le forçat qui a vaincu l’île du Diable » – Article de PARIS MATCH du 20 mars 2019
« Les disparus d’Alcatraz » – Documentaire diffusé par RMC Découverte réalisé par Philip J. Day
« Voyage au bout de l’enfer – Midnight Express » – National Geographic Channel 

 

Avec l’aimable contribution de Simon COYAC, Sauveteur en mer

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