Naufrages et épaves maritimes – de la culture au droit



Les naufragés en mer constituent un thème récurrent de la culture maritime, très souvent exploité dans la littérature et au cinéma. Les récits de naufrages, réels ou fictifs, sont nombreux et parfois très anciens. Si les histoires sont nombreuses et souvent avérées, les naufrages ont été également l’objet d’un cadre juridique applicable. Les naufrages sont des faits marquants, souvent repris et exploités et dont l’impact dépasse la culture maritime.

Ce n’est pas parce qu’un homme porte la marque du naufrage, qu’au fond de son cœur il est un naufragé

John Maxwell Coetzee

Parmi les récits les plus connus, celui de Robinson Crusoé qui est tiré d’un roman rédigé en 1719, par l’écrivain anglais Daniel Defoe. Écrit à la première personne sous forme d’un journal personnel, l’intrigue principale du roman se déroule sur une île déserte à proximité des côtes vénézuéliennes, où Robinson, après avoir fait naufrage, rencontre un autochtone qu’il appelle « Vendredi » en référence au jour de leur première rencontre puis va rester sur cette ile pendant 28 longues années.

Déjà dans les contes des « Mille et Une Nuits », les Sept Voyages de Sinbad le marin narrent des aventures basées, d’une part, sur de véritables expériences de marins et d’autre part, sur d’anciens textes de sources diverses, dont l’Odyssee d’Homère.

Histoire de naufrages

L’histoire de Daniel Defoe s’appuie largement sur celle d’un marin Écossais : Alexandre Selkirk, mais son histoire est sensiblement différente puisqu’il vécut en réalité quatre ans et quatre jours (et non 28 ans) sur une ile déserte et son séjour s’effectua sans la moindre compagnie humaine. Échoué sur une île dans des circonstances particulièrement difficiles, il s’est retrouvé seul et avec peu d’équipements pour survivre et surtout il était contraint de rester sur le rivage car dans l’incapacité de reconstruire une embarcation. Son seul espoir était d’être repéré et d’être secouru par un bateau de passage.

Nécessité faisant loi, Selkirk a du s’adapter à son environnement et réutiliser ce qu’il trouvait sur place. Il construisit  des cabanes à l’aide des éléments qui lui restaient du navire et utilisait son épée pour chasser et cuisiner. Afin de ne pas perdre l’usage de sa langue et de stimuler son savoir, il lisait en permanence une Bible retrouvée parmi les affairés échouées. Après plusieurs années de solitude, il est finalement secouru par un autre navire en février 1709  et rentre chez lui où, grâce à son histoire, il devient une célébrité locale. Il ne se remettra cependant jamais vraiment de son séjour solitaire sur l’île, allant jusqu’à se construire une cabane sur la propriété de son père. Ironie du sort, il reprendra le large puis périra dans l’océan au large des côtes d’Afrique.

Une île chilienne appelée Mas-a-Tierra, a été rebaptisée île Selkirk afin de lui rendre hommage.

L’histoire de Selkirk n’est pas unique, plusieurs marins connurent des histoires identiques, notamment un espagnol du nom de Pedro Luis Serrano, également connu pour être resté bloqué sept ans sur une petite île déserte, au XVIème siècle après avoir fait naufrage sur une petite île des Caraïbes au large de la côte du Nicaragua en 1520. L’île sur laquelle il a été rescapé a d’ailleurs été nommée ile Serrana en son hommage.

La France étant une nation maritime  il existe dans l’historiographie française, des histoires de naufrages réelles et vécues. Celle de Narcisse Pelletier est emblématique. Né en 1844 en Vendée et mort en 1894 à Saint-Nazaire, ce marin français est connu pour son naufrage en Australie mais surtout pour son intégration au sein d’une tribu d’aborigènes. En 1858, alors qu’il a quatorze ans et qu’il est mousse, le navire sur lequel il voyage Le Saint Paul, fait naufrage et après avoir été abandonné par l’équipage sur les côtes australiennes, il s’intègre à une tribu d’aborigènes et sera rebaptisé Amglo par les autochtones, avant d’être redécouvert, dix-sept ans plus tard. Il est ramené à sa famille en France, où il finit sa vie comme gardien de phare. Son histoire constitue un témoignage précieux sur la vie quotidienne, les mœurs, la langue et la culture des aborigènes. 

Narcisse Pelletier, devenu Amglo va ainsi vivre de l’âge de 14 à ses 31 ans, de chasse et de pêche avec sa nouvelle famille adoptive, adoptant les mœurs, les coutumes, les activités et la culture des aborigènes, parlant couramment leur langue, oubliant son français maternel et portant des scarifications tribales sur son corps. Son récit est noté dans une biographie, écrite après son retour en France par Constant Merland, un docteur nantais qui a recueilli ses propos avant de publier en 1876 : « Narcisse Pelletier : dix-sept ans chez les sauvages », un recueil qui contient des détails précieux sur l’organisation sociale de la tribu dans laquelle il a vécu. Narcisse Pelletier a par ailleurs, rencontré des véritables problèmes pour se réadapter à la vie en France. On lui propose d’abord un poste dans un spectacle itinérant mais il refuse de passer pour une attraction exotique. Il devient ensuite gardien de phare, emploi qu’il occupera finalement jusqu’à sa mort. Il meurt à l’âge de 50 ans et sera enterré au cimetière de La Briandais à Saint-Nazaire.

Autre cas, marquant, de naufragés, ceux de la frégate La Méduserendus célèbres par le tableau du peintre Gericault et qui fait référence à un fait survenu en 1816. La frégate quitte l’île d’Aix pour le Sénégal sous le commandement de Chaumareys qui va multiplier les erreurs de navigation faisant ainsi échouer son navire sur un banc de sable au large de la Mauritanie, le Capitaine ayant en effet été choisi pour ses faits d’armes contre les révolutionnaires et non pour des compétences en mer puisqu’avant de prendre le commandement de la frégate, il n’avait pas navigué depuis 25 ans.

Pour désensabler le navire, un ponton est construit à la hâte. Il s’agit d’une construction de 12 mètres sur 6 surnommée alors « la machine » mais c’est un échec il est décidé d’évacuer le navire. Les marins s’entassent à 147 sur la machine remorquée par des cabots mais le radeau est trop lourd et Chaumareys donne l’ordre de couper les amarres.

Le radeau est abandonné dans les flots et dérive 13 jours sans eau ni nourriture. Les marins n’ont quasiment rien à manger et vont devoir se contenter de boire leur propre urine pour survivre, puis vont s’entretuer dés les premières nuits. Ce qui va rapidement entrainer des mutineries, des noyades et des bagarres mais aussi des accès de folies et du cannibalisme

Le 17 juillet, le brick l’Argus recueille les survivants qui ne sont plus que 15. À leur retour, deux d’entre eux : Alexandre Correard et Jean-Baptiste Savigny publient un récit du naufrage. L’épave de la Méduse quant à elle, sera retrouvée en 1980.

Une autre histoire marquante, celle des naufragés de L’île Tromelin. Cette ile française, de 1,5 km de longueur sur 0,7 km de largeur, située dans l’océan indien, dépourvue d’eau potable et sur laquelle toute culture est impossible, a été le lieu d’un épisode tragique en 1761 lorsque L’Utile, une frégate de la Compagnie française des Indes orientales, commandée par le capitaine Jean de La Fargue, fait naufrage sur les récifs coralliens de l’île.

Le bateau parti de Bayonne avec cent-quarante-deux hommes d’équipage, avait ensuite embarqué cent soixante hommes, femmes et enfants malgaches après une escale. Cependant, une erreur de navigation sur une trajectoire effectuée de nuit va faire échouer le navire sur les récifs de l’île Tromelin. Lors du naufrage, l’équipage et une soixantaine de Malgaches arrivent à rejoindre l’île. L’équipage récupère différents équipements retrouvés sur les rives ainsi que quelques vivres et se nourrissent de poissons, de tortues et d’oiseaux pour survivre.

Le lieutenant, Barthélémy Castellan du Vernet reprend le commandement de ce qui reste de l’équipage et fait construire deux campements (un pour l’équipage et l’autre pour les esclaves) et fait démarrer la construction d’une embarcation avec les matériaux récupérés de l’épave. Deux mois après le naufrage, les 122 hommes d’équipage restants y prennent place difficilement, laissant les Malgaches sur l’île en leur promettant de revenir les chercher. Les marins atteignent Madagascar en un peu plus de quatre jours et sont transférés à l’île Bourbon (aujourd’hui île de La Réunion) puis à l’Île de France (aujourd’hui l’île Maurice).

Castellan demande de nombreuses fois l’autorisation d’aller secourir les esclaves restés sur l’île mais cette promesse ne pourra pas aboutir car le Gouverneur de l’ile, Antoine-Marie Desforges-Boucher refusera catégoriquement au lieutenant de lui fournir une autre embarcation pour revenir chercher les esclaves qu’il avait abandonnés sur l’ile Tromelin, prétextant que le transport d’esclaves serait de nature à créer des litiges avec les anglais, grands rivaux sur les mers.

Castellan finit par abandonner son projet de retourner et quitte l’Île de France pour rentrer en France métropolitaine fin août 1762. Toutefois, un navire passant à proximité de l’île Tromelin les repère en 1773 et les signale de nouveau aux autorités compétentes.  Un bateau est envoyé mais ce premier sauvetage échoue, le navire n’arrivant pas à s’approcher de l’île, difficile d’accès en raison de son récif.

Il faudra attendre quinze années supplémentaires pour que Bernard Boudin de Tromelin, commandant de la Dauphine récupère les huit derniers survivants : sept femmes et un enfant de huit mois.

En arrivant sur place, il découvre que les survivants sont vêtus d’habits en plumes tressées et qu’ils ont réussi, pendant toutes ces années, à maintenir un feu allumé grâce au bois restant de l’épave. L’île conservera d’ailleurs désormais son nom de manière définitive à partir du XIXème siècle.

Naufrage et réglementation

Juridiquement, les épaves des naufrages sont d’abord encadrées par ce qu’on appelait le droit de bris, pendant l’Ancien Régime, appelé aussi droit d’épave ou droit de lagan. Il s’agit d’un droit donnant la propriété des épaves et des cargaisons (donc des marchandises) des navires naufragés, au propriétaire des terres, sur lesquelles l’épave s’échouait.

Une épave désigne tout objet dont on ne peut identifier le propriétaire, ce qui suppose une dépossession matérielle, fortuite ou inconsciente.

Cependant, à l’inverse d’un objet abandonné, la notion de volonté est absente et par conséquent le propriétaire est susceptible de se révéler un jour. Le propriétaire de l’épave n’a donc pas renoncé à sa propriété. Très souvent, les populations, qui vivaient dans des conditions misérables, ne respectaient pas ce privilège (de nature seigneurial) et profitaient des naufrages pour piller les bateaux. Bien qu’il soit difficile à dater, le droit de bris existait probablement déjà durant l’Antiquité.

En France, c’est d’abord Louis XI qui revendique ce droit comme étant régalien puis sous Louis XIV, ce droit devient limité par l’ordonnance de Colbert de 1681 aux biens non réclamés dans un certain délai. Ce droit est resté en usage en France jusqu’au XIXe siècle.

En août 1681, une ordonnance de la Marine supprime le droit de ramasser les épaves et les biens parvenant à la côte

Actuellement, les épaves appartiennent au corpus des biens culturels maritimes au même titre que les gisements, vestiges ou généralement tout bien qui, présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique situé dans le domaine public maritime ou au fond de la mer dans la zone contiguë.

L’article L. 532-2 du Code du patrimoine dispose que les biens culturels maritimes situés dans le domaine public maritime dont le propriétaire n’est pas susceptible d’être retrouvé appartiennent à l’Etat. Ceux dont le propriétaire n’a pu être retrouvés, à l’expiration d’un délai de trois ans suivant la date à laquelle leur découverte a été rendue publique, appartiennent à l’Etat.

Toute personne qui découvre un bien culturel maritime est tenue de le laisser en place et de ne pas y porter atteinte. Elle doit, dans les quarante-huit heures de la découverte ou de l’arrivée au premier port, en faire la déclaration à l’autorité administrative

Pour autant, toute personne qui a découvert et déclaré un bien culturel maritime dont la propriété est attribuée à l’Etat peut bénéficier d’une récompense dont la nature ou le montant est fixé par l’autorité administrative.

Le droit maritime impose ici sa spécificité par rapport au droit terrestre puisque qu’à l’inverse, l’article 716 du code civil énonce que la propriété d’un trésor, à savoir toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard, appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds et que si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds.

Références

Narcisse Pelletier, La vraie histoire du sauvage blanc par Constant Merland – de Thomas Duranteau
Jacques-Olivier Boudon, Les naufragés de la Méduse

Avec l’aimable contribution de Simon COYAC, Sauveteur en mer

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