Reconnaissance du préjudice écologique et de présomption de dommages à l’herbier de posidonie du fait du mouillage de yachts
Le Tribunal Maritime de Marseille a reconnu pour la première fois un préjudice écologique porté à l’herbier de posidonie par des capitaines de yachts ayant mouillé dans des zones interdites par arrêtés du préfet maritime de la Méditerranée et consacré la présomption de dommages sur l’herbier de posidonie dès lors qu’un navire mouille en zone protégée.
Dans un jugement rendu le 22 novembre 2024, le Tribunal Maritime de Marseille a retenu le préjudice écologique sur le plan civil et a condamné des capitaines de yachts à verser, outre une amende au titre du préjudice moral aux parties civiles, des indemnités de plus de 100.000 euros en compensation de la perte de valeur écosystémique, ceci au bénéfice de l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse pour mener des opérations de restauration écologique des herbiers de posidonie.
Le principe du préjudice écologique
En droit interne, plusieurs textes encadrent la protection de l’environnement.
L’article 5 de la Charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ».
Ensuite, la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale fut l’outil de transposition, en droit interne, de la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 qui vise à prévenir, réparer ou compenser les dommages écologiques graves causés à la qualité des eaux de surface et souterraines, à l’état des sols et aux espèces et habitats naturels protégés et désormais codifiée dans le code de l’environnement :
L’article L 162-9 du code de l’environnement « Les mesures de réparation des dommages affectant les eaux et les espèces et habitats mentionnés aux 2° et 3° du I de l’article L. 161-1 visent à rétablir ces ressources naturelles et leurs services écologiques dans leur état initial et à éliminer tout risque d’atteinte grave à la santé humaine. L’état initial désigne l’état des ressources naturelles et des services écologiques au moment du dommage, qui aurait existé si le dommage environnemental n’était pas survenu, estimé à l’aide des meilleures informations disponibles.»
Ce texte définit de manière limitative les dommages susceptibles de créer une obligation de prévention ou de réparation à savoir des détériorations directes ou indirectes mesurables causées aux sols, à l’eau, à certaines espèces animales et à des habitats déterminés. Plus précisément, les dommages visés par la loi relative à la responsabilité environnementale sont les détériorations directes ou indirectes mesurables qui :
- affectent le sol et qui, de ce fait, créent un risque d’atteinte grave à la santé de l’homme
- affectent gravement l’état écologique, chimique ou quantitatif ou le potentiel écologique des eaux
- affectent gravement le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable de certaines espèces animales et de leurs habitats
- affectent les services écologiques, c’est-à-dire les fonctions assurées par les sols, les eaux et les espèces et habitats ci-dessus, au bénéfice de l’une de ces ressources naturelles ou au bénéfice du public, à l’exclusion des services rendus au public par des aménagements réalisés par l’exploitant ou le propriétaire
Concernant la réparation du préjudice écologique, le code civil prévoit plusieurs dispositions :
Les articles 1246 à 1248 du code civil « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer », « Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. » et enfin « L’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l’Etat, l’Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement. »
La reconnaissance du préjudice écologique d’atteinte à l’herbier de posidonie
L’espèce de la Posidonie est protégée en France dans le cadre de la loi du 10 Juillet 1976 relative à la protection de la nature et par l’arrêté du 19 Juillet 1988 relatif à la liste des espèces végétales marines protégées. Sur le plan européen, la Directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 dite « Habitats Faune-Flore » de 1992 du conseil de l’Europe prévoit également sa protection.
A ce titre et face au besoin de protection des herbiers de posidonie et aux enjeux de sécurité maritime, le préfet maritime de méditerrannée a décidé en avril 2019, de renforcer l’encadrement du mouillage et de l’arrêt des navires. Depuis cette date, un ensemble d’arrêtés préfectoraux ont été élaborés après concertation de l’ensemble des acteurs du monde maritime pour réglementer les mouillages.
En l’espèce, deux yachts ont mouillé à plusieurs reprises dans des zones interdites en violation de l’article 2 et 4 de l’arrêté préfectoral du 14 octobre 2020 réglementant le mouillage et l’arrêt des navires de 24 mètres et plus au droit du département des Alpes Maritimes. Les associations France Nature Environnement et la Ligue pour la protection des oiseaux ont alors déposé plainte avec constitution de parties civiles pour demander au tribunal maritime de Marseille de se prononcer sur le préjudice écologique porté à l’herbier de posidonie par ces capitaines de yachts.
Dans une décision inédite du 22 novembre 2024, les juges reconnaissent :
- un préjudice écologique d’atteinte à l’herbier de posidonie
- que des associations sont fondées à agir en réparation du préjudice écologique.
Un mode de calcul se basant sur la taille du navire en infraction, la houle, la longueur de chaine de l’ancre, le nombre de mouillages et la durée de régénération de l’espèce a permis de chiffrer le montant du préjudice causé à la biodiversité. Le tribunal a également retenu la présomption de dommages sur l’herbier de posidonie dès lors qu’un navire mouille en zone protégée par arrêté préfectoral. Autrement dit, en l’absence de preuve contraire, le mouillage dans une zone protégée est présumé causer des dommages aux herbiers et emporte responsabilité des capitaines de yachts.
Les agissements du capitaine ont porté une atteinte non négligeable aux éléments, aux fonctions des écosystèmes et aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement et qu’il convient sur le fondement de l’article 1247 du code civil de réparer le préjudice écologique (…) En l’absence de preuve contraire, le mouillage dans une zone protégée est présumé causer des dommages aux herbiers.
Ce principe repose sur l’impact environnemental reconnu du mouillage dans ces zones sensibles et sur l’importance des herbiers de posidonie pour les écosystèmes marins. Comme le souligne le Préfet maritime de Méditerrannée, cette décision de justice inédite contribue à l’efficacité de la politique de protection des herbiers de posidonie portée depuis plusieurs années par les services de l’État, les collectivités engagées et les acteurs privés associés.
Enfin, la jurisprudence avait déjà abordé la question de la réparation du préjudice écologique dans une décision du Tribunal administratif de Toulon qui avait rejeté la demande de réparation du préjudice écologique formulée par une association, en raison de l’absence de démonstration d’une atteinte non négligeable à l’écosystème sous-marin ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de son environnement. Le tribunal avait également noté que des mesures de compensation avaient été prévues pour le projet en litige