Le Tribunal international du droit de la mer face à l’injustice climatique du yachting



Le Tribunal international du droit de la mer a rendu un avis consultatif unanime en considérant que les rejets de gaz à effet de serre des navires entraient bien dans la définition de la pollution du milieu marin de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Si l’avis n’a pas de portée contraignante, il fera peser une contrainte légale sur les Etats et les armateurs de yachts afin de de lutter contre les effets néfastes du changement climatique sur le milieu marin.

La préoccupation mondiale pour l’environnement a conduit l’Organisation Maritime Internationale a convenir d’une feuille de route relative à la réduction des pollutions du fait des gaz à effet de serre du transport maritime international. L’industrie du transport maritime est responsable de 2 à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce qui place le secteur parmi les dix premiers émetteurs mondiaux. La probabilité d’une part croissante nécessite des mesures immédiates visant à inverser les tendances.

Le secteur maritime se caractérise par un potentiel important de réduction des émission grâce à la technologie existante. De plus, les économies peuvent être une conséquence de mesures d’économie d’énergie sous la forme de réductions des coûts de fonctionnement. Mais force est de constater que ces exigences ne sont pas encore pleinement prises en compte dans l’industrie du yachting.

Sur le plan international, l’Organisation maritime internationale, créée pour la sécurité maritime, s’est saisie de la responsabilité de la prévention des pollutions avec la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires adoptée le 2 novembre 1973 complétée par un ensemble d’annexes dont notamment l’annexe 6 concernant les règles relatives à la prévention de la pollution de l’atmosphère par les navires (entrée en vigueur le 19 mai 2005) qui fixe des limites aux émissions d’oxyde de soufre et d’oxyde d’azote provenant des gaz d’échappement des navires et interdit les émissions délibérées de substances qui appauvrissent la couche d’ozone.

Conformément à l’Accord de Paris, l’OMI a développé une stratégie pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des navires en fixant des niveaux minimum d’efficacité énergétique pour les navires de nouvelle construction, connu sous le nom d’indice de conception d’efficacité énergétique. La mise en œuvre s’organise en plusieurs phases avec un niveau de réduction des émissions renforcé tous les cinq ans pour suivre le rythme des nouvelles technologies.

Concernant les émissions des gaz à effet de serre par les navires, l’objectif poursuivi est une réduction de 50% des émissions d’ici 2050., mais force est de constater que malgré la prise de conscience croissante des propriétaires de yachts, l’industrie du yachting n’est pas incluse dans cet objectif, sans doute liée à la question de la compétitivité qui doit s’articuler entre investissement dans les technologies de pointe et marché mondial fortement concurrentiel.

Par ailleurs, à la différence de la navigation de commerce, les propriétaires de yachts ont des exigence disparates et donnent la priorité à différents aspects de leurs yachts, ce qui induit des profils d’armateurs hétérogènes :

  • L’armateur en recherche du meilleur qualité-prix de son yacht
  • L’armateur qui priorise l’espace et le confort
  • L’armateur qui donne la priorité à l’environnement et souhaite un yacht vertueux

Sur le plan opérationnel, le yacht répond à plusieurs modes de fonctionnement (navigation en vitesse de croisière, cabotage côtier à un rythme soutenu, longues périodes au mouillage, zones de navigation disparates… ) avec des profils volatils non seulement en termes de demande de puissance, mais également en termes de temps de navigation.

Empreinte carbone des yachts des multimillionnaires

Il apparaît dans l’industrie du yacht que l’objectif final est de parvenir à une réduction des émissions annuelles de CO2 et simultanément remplir un cahier des charges qui répondent aux standards de l’industrie du luxe. Selon une étude intitulée The outsized carbon footprints of the super-rich publiée par Taylor & Francis Group en 2021, les trois quarts des milliardaires possèdent un yacht d’une longueur moyenne de 84 mètres avec des émissions moyennes d’équivalent carbone de 7 018 tonnes par an.

Si la taille et les installations luxueuses de nombreux yachts sont de notoriété publique, les détails de leur utilisation et de leur consommation de carburant ne le sont pas alors que la taille moyenne des yachts est en constante augmentation, tout comme le nombre de produits de luxe consommateurs d’énergie (piscines, sous-marins privés, jet skis, hélicoptères et électronique sophistiquée…)

Selon une étude du Cabinet Taylor & Francis du 8 février 2021 intitulée « The outsized carbon footprints of the super-rich« , les trois quarts des milliardaires de l’étude possédaient un yacht d’une longueur moyenne de 84 mètres et leurs émissions moyennes d’équivalent carbone étaient de 7018 tonnes par an.

Si un yacht peut être présenté comme économe en énergie ou respectueux de l’environnement, il n’en demeure pas moins un fort consommateur en énergie et en émission de gaz à effet de serre. L’efficacité des compensations carbone entreprises par les armateurs est souvent remise en question, avec une philanthropie intéressée et servant à justifier de nouvelles augmentations d’émissions.

Les 300 plus importants yachts mondiaux émettent annuellement 285 000 tonnes de dioxyde de carbone
A titre d’exemple, le Vava II, yacht de 100 mètres de long produit avec un équipage permanent, une plateforme pour hélicoptère et plusieurs piscines chauffées environ 7 020 tonnes de CO2 par an, quand l’empreinte carbone moyenne d’un Français est de 10 tonnes annuelles.

Emission de tonnes de CO2 des yachts de milliardaires
Principale source de richesseYachts (Emissions en tonnes de CO2)
Roman AbramovichSteel magnate, owner of UK’s Chelsea soccer team22,440.0
Sheldon AdelsonCasinos7,344.0
Giorgio ArmaniFashion designer3,672.0
Bernard ArnaultOwner of Louis Vuitton8,976.0
Ernesto BertarelliPharmaceuticals and real estate8,160.0
Sergey BrinCo-founder of Google4,896.0
Larry EllisonCo-founder of Oracle6,936.0
David GeffenCo-founder of DreamWorks16,320.0
Source : The outsized carbon footprints of the super-rich

Avis de principe du tribunal international du droit de la mer

Dans un avis rendu à la demande des petits États insulaires, le tribunal International sur le droit de la mer et créé dans le cadre de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982 un rendu un avis consultatif unanime le 21 mai 2024 par lequel il estime que les gaz à effet de serre sont une pollution du milieu marin que les États doivent maîtriser.

A noter que le 29 mars 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté une résolution demandant à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement. Si les opinions consultatives ne possèdent pas la même force contraignante que les décisions issues d’une procédure contentieuse, elles peuvent néanmoins avoir des effets importants sur les principes de droit international applicables aux relations entre les États en matière climatique, sur le déroulement d’autres procédures législatives au niveau national, ou encore sur des contentieux climatiques dans le contexte régional et national

L’article 1 de la Convention international sur le droit de le mer énonce qu’on « entend par pollution du milieu marin, l’introduction directe ou indirecte, par l’homme, de substances ou d’énergie dans le milieu marin, y compris les estuaires. Lorsqu’elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques et à la faune et la flore marines, risques pour la santé de l’Homme, entrave aux activités maritimes, y compris la pêche et les autres utilisations légitimes de la mer, altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation des valeurs d’agrément »

La demande avait été soumise au Tribunal par la Commission des petits États insulaires (groupe distinct de 38 États Membres et de 20 États non membres de l’ONU/membres associés de commissions régionales de l’ONU qui sont exposés à des risques sociaux, économiques et environnementaux particuliers) sur le changement climatique et le droit international qui avait demandé un avis consultatif sur les obligations particulières des États Parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer notamment en vue de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin eu égard aux effets nuisibles qu’a ou peut avoir le changement climatique, notamment sous l’action du réchauffement des océans et de l’élévation du niveau de la mer, et de l’acidification des océans, qui sont causés par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère

A l’unanimité, le Tribunal a considéré que :

  • les émissions anthropiques de Gaz à effet de serre dans l’atmosphère constituent une pollution du milieu marin et qu’en vertu de l’article 194, paragraphe 1, de la Convention, les États Parties à la Convention ont les obligations particulières de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES et de s’efforcer d’harmoniser leurs politiques à cet égard.
  • En vertu de l’article 211 de la Convention, les États Parties ont l’obligation particulière d’adopter des lois et règlements pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions de GES provenant de navires battant leur pavillon ou immatriculés par eux, qui ne doivent pas être moins efficaces que les règles et normes internationales généralement acceptées établies par l’intermédiaire de l’organisation internationale compétente ou d’une conférence diplomatique générale

Le tribunal précise qu’il s’agit d’une obligation générale de comportement et non d’une obligation de résultat et qu’en conséquence les États ont l’obligation de mettre tous les moyens en œuvre pour atteindre l’objectif fixé à commencer par une obligation de diligence qui impose de prendre toutes les mesures raisonnables ou nécessaires pour éviter qu’un événement donné ne se produise, mais sans garantir que l’événement ne se produira pas, cette obligation s’appréciant en fonction des capacités des États et des ressources dont ils disposent.

Par cet avis le Tribunal rend effectif la mise en œuvre des résolutions de l’Organisation maritime internationale concernant la lutte des rejets de CO2 des navires liés à leur mode de propulsion. La portée de cet arrêt devrait être contraignante à l’avenir pour les États et servira de base jurisprudentielle aux juridictions nationales qui auront à apprécier l’engagement climatique des autorités nationales et sera également moteur pour le prochain Accord de Paris qui, rappelons le, est un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques.

Sources

The Yacht of 2030, Delft University of technology
The outsized carbon footprints of the super-rich, Taylor & Francis, 8 février 2021
Combattre des inégalités des émissions de CO2, La justice climatique au cœur de la reprise post Covid, Oxfam, 21 septembre 2020
Superyachts, luxe, calme et écocide, Grégory Salle, Chercheur au CNRS, 2021
Intergovernmental Panel on Climate Change, rapport 2023

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