Vers un contrôle technique obligatoire pour les anciens navires de plaisance ?
A l’occasion d’un rapport du Bureau d’enquête sur les évènements de mer concernant une voie d’eau d’un navire de plaisance ayant provoqué la noyade de trois enfants, il est préconisé notamment un contrôle technique pour les embarcations anciennes à coque en polyester en amont des opérations de vente.
Le naufrage dramatique du navire de plaisance le MILLE SABORDS causant le décès de plusieurs membres de l’équipage a été l’occasion pour le Bureau d’enquête des évènements de mer d’émettre des recommandations notamment en matière de contrôle technique et de nouveaux modules de formation lors du permis côtier.
Le 12 août 2019, le navire de plaisance construit en 1970 d’une longueur de 5 mètres et doté d’un moteur hors-bord de 55 CV effectue sa deuxième sortie en mer depuis que son acquéreur a obtenu le permis côtier.
Le navire était un modèle SEA BIRD à l’origine, conçus pour la navigation dans les eaux intérieures
Outre le propriétaire, qui est le skipper titulaire du permis plaisance option côtière avec une expérience de navigation limitée, deux adultes et leurs trois jeunes enfants sont à bord, tous équipés de gilets de sauvetage.
Chronologie de l’accident
Au moment du départ la mer est peu agitée, mais il est prévu que les conditions météorologique se dégradent en fin d’après-midi.
Le navire est encore relativement proche de son point de départ lorsque le skipper se prépare pour une partie de pêche, mais les adultes constatent que les trois enfants installés dans la cabine ressentent les effets du mal de mer et prennent la décision de rentrer.
Alors que le skipper s’apprête à faire demi-tour, le moteur cale à plusieurs reprises pour une raison indéterminée ce qui a pour effet de déporter le navire de telle sorte que plusieurs vagues pénètrent dans le cockpit.
Le skipper force l’allure du moteur vers son point de départ mais le moteur cale de nouveau et le niveau de l’eau présente une hauteur préoccupante. Malgré l’effort de la pompe de cale électrique et le fait d’écoper, l’embarcation bascule par l’arrière jusqu’à quasiment atteindre la verticale provoquant la chute des adultes à la mer pendant que les enfants sont bloqués dans la cabine, maintenus par leur gilets de sauvetage à la surface de l’eau.
Au même moment, l’alerte est donnée par un témoin à terre alors que seule la proue et l’avant de la cabine émergent des vagues. Conscient de l’urgence de la situation pour libérer les enfants, le skipper plonge à plusieurs reprises sans parvenir à pénétrer dans la cabine. Il tente de briser les sabords de l’avant avec l’ancre, mais sans succès à cause de l’accès difficile et des forces qui commencent à lui manquer.
Quelques minutes plus tard des moniteurs de voile du club nautique sont sur la zone de l’accident. Un des moniteurs prend en charge les deux passagères adultes à bord de son zodiac tandis que le skipper reste accroché à la proue tétanisé. Un second moniteur qui apprend par les parents que des enfants sont à bord, retire son gilet de sauvetage et plonge à plusieurs reprises pour tenter de rentrer dans la cabine et en extraire les enfants, sans y parvenir puis décide de crocheter avec un mousqueton la vedette à son zodiac qui, par l’effet de la vitesse, se remet partiellement à flot.
Malgré leurs efforts, les tentatives de réanimation des trois enfants restent vaines.
Analyse du rapport d’enquête
Le rapport analyse l’accident en considérant les éléments naturels, matériels, humains et procéduraux afin d’identifier les facteurs ayant contribué à leur apparition ou ayant contribué à aggraver leurs conséquences.
Etat de la coque
Lorsque le nouveau propriétaire fait l’acquisition du navire, la coque en matériau composite a été fabriquée 49 ans auparavant.
Les trois ouvertures effectuées dans la coque, ne sont pas munies de soufflets assurant l’étanchéité. Il est cependant probable que le propriétaire qui avait effectué cette modification ait fait en sorte, à l’époque, de préserver l’intégrité de la coque. Mais ces accessoires, s’ils ont existé, ont été perdus ou se sont détériorés au cours de la vie du bateau
Le défaut d’intégrité de la coque dû aux ouvertures a été constaté par le professionnel qui a effectué la pose du dernier moteur
En conséquence, bien que le programme de navigation se limitait à des sorties de courte durée, par beau temps et mer peu agitée, le défaut d’intégrité de la coque, dans sa partie arrière, présentait cependant un risque en cas de dégradation de l’état de la mer, ou à l’arrêt par mer de l’arrière
Evacuation de l’eau
Aucun moyen d’évacuation de l’eau pouvant s’accumuler dans l’espace ouvert situé entre la banquette transversale et le tableau arrière n’étant apparent, l’enquête a fait démonter la plaque d’appui du moteur et la rehausse par le professionnel qui a effectué la pose du moteur.
Cette opération a permis de constater, au milieu du tableau arrière, la présence d’un trou d’évacuation, mais étant masqué par un plaque d’appui du moteur, il était opérationnel.
Osmose
Les coques en polyester sont soumises au phénomène d’osmose c’est à dire une infiltration de l’eau dans le polyester de la coque, à travers la membrane semi-perméable constituée par le gelcoat.
Ce processus est courant sur les bateaux âgés de plusieurs dizaines d’années car les techniques de stratification et de pose n’étaient, à l’époque, pas suffisamment maîtrisées.
Le service technique du constructeur, consulté après l’opération, indique qu’environ la moitié de la surcharge peut être imputée à l’osmose.
Le moteur ayant stoppé, alors que le navire est par mer de l’arrière, le tableau arrière ne constitue qu’un faible barrage à des vagues d’une cinquantaine de centimètres. Dans ces conditions, la situation ne peut que rapidement se dégrader, jusqu’à atteindre la configuration la plus défavorable
Le rapport conclut que la vulnérabilité de la coque de ce navire aux entrées d’eau de mer par l’arrière est le facteur contributif de son naufrage
Conclusions et préconisations
Le naufrage du navire est dû à la vulnérabilité de la coque :
- La coque en polyester est âgée de 49 ans et a connu un phénomène d’osmose qui a eu pour conséquence une importante surcharge et une diminution du franc-bord.
- Des ouvertures dans l’espace arrière pour le passage des câbles et flexibles, non protégées par des soufflets d’étanchéité, ont été effectuées antérieurement à l’achat du bateau par l’actuel propriétaire
- L’eau a rempli l’espace arrière, jusqu’à atteindre les ouvertures non protégées. Elle s’est alors écoulée directement dans le navire, alourdissant et enfonçant l’arrière, conduisant ainsi à un naufrage rapide
- Le débit de la pompe de cale est trop faible pour étaler une importante entrée d’eau
Enfin, le manque d’expérience du skipper propriétaire s’est traduit par un excès de confiance en son navire, alourdi et modifié.
Le rapport d’enquête énonce quelques enseignements suite à ce naufrage :
- Le candidat néophyte à l’achat d’un bateau d’occasion devrait, par précaution, prendre l’avis d’un expert
- Les chantiers navals devraient systématiquement rester fermes, vis-à- vis de leurs clients, lorsque leurs demandes ne vont pas dans le sens de la sécurité sans qu’ils en aient conscience.
- Les embarcations très anciennes à coque en polyester devraient faire l’objet d’un contrôle technique. Reste à en déterminer le périmètre des navires concernés (typologie, caractéristique, ancienneté…) et les modalités de mise en oeuvre (points de contrôle, fréquence…)
Le rapport d’enquête adresse enfin une recommandation à l’administration pour l’ajout d’un module au permis plaisance, concernant les risques d’avarie pouvant survenir à bord des navires anciens.
Cette affaire doit également rappeler que la France a mis en place, avec les acteurs du nautisme, une filière de déconstruction des coques en polyester en fin de vie avec notamment le décret n° 2018-766 du 31 août 2018 qu a créé une responsabilité élargie du producteur pour les navires de plaisance ou de sports à savoir qu’il peut être fait obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs de ces produits ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication de pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent.